Comme à chaque fois qu’il sort un film, c’est un événement aux Etats-Unis. Trois soirs de suite, fin septembre, des millions d’Américains se sont assis devant PBS, l’équivalent local de France Télévisions, pour regarder « Les Etats-Unis et l’Holocauste », le nouveau documentaire fleuve de Ken Burns. Le réalisateur, qui explore l’histoire américaine à la télévision depuis quarante ans, a enchaîné les interviews depuis le studio télé aménagé dans le sous-sol de sa grange à Walpole. En juin, il avait reçu « Les Echos » dans ce village bucolique du New Hampshire aux airs de « Burns City ». Sa société de production, Florentine Films, y emploie une quarantaine de personnes et il possède l’un des deux restaurants, qui propose une « Ken’s Salad » (saumon, avocat et parmesan) pour 29 dollars.
Bande-annonce de « Les Etats-Unis et l’Holocauste »
Le film a été applaudi par la critique, le magazine « The Atlantic » estimant même que « son visionnage devrait être obligatoire pour tous les Américains ». Loin de l’image des héros du D-Day et de l’idéal incarné par le poème d’Emma Lazarus au pied de la statue de la Liberté – « Give me your tired, your poor, Your huddled masses yearning to breathe free » (1) -, le documentaire raconte la force de l’antisémitisme dans la population américaine et comment il s’est traduit par un refus d’accueillir un nombre important de réfugiés juifs.
Comment Hitler s’est inspiré des Etats-Unis
Epousant la thèse du « Modèle américain d’Hitler », le livre du professeur de Yale James Whitman, le réalisateur montre aussi comment le leader nazi, grand admirateur de la conquête de l’Ouest, s’est inspiré de l’extermination des Amérindiens et des lois Jim Crow imposant la ségrégation raciale. Toujours soucieux d’équilibre, Ken Burns raconte tout de même comment certains Américains se sont mobilisés pour infléchir la politique de leur pays, notamment les fondateurs de l’Emergency Rescue Committee, qui a sauvé environ 2.000 Juifs en Europe, dont Hannah Arendt.
Malgré ces actes de bravoure individuelle, on ressort des six heures de film convaincus que « l’exclusion des autres est aussi américaine que la tarte aux pommes », comme le résume avec humour l’historien Peter Hayes dans le film. S’il a lancé le projet avant la présidence Trump, Ken Burns en a encore plus senti la nécessité après 2016. « J’ai toujours travaillé sur des films qui riment au présent, dit-il, paraphrasant Mark Twain. Mais cette fois-ci, ça rimait trop. C’était effrayant. » Un sentiment qu’il a traduit en clôturant le film par des images d’actes violents récents contre les latinos et les musulmans et de rassemblements d’extrême droite.
Une dérive inquiétante
Le réalisateur, qui assume un rôle plus politique depuis l’élection de l’homme d’affaires en multipliant notamment les « commencement speeches » dans les universités, est très inquiet de la dérive de sa patrie . « Le coup d’Etat qui a presque eu lieu lors de l’attaque du Capitole n’a pas de précédent aux Etats-Unis, où nous avons toujours eu des transferts de pouvoir sans violence, se lamente-t-il à la table de la grange où il travaille, à 200 mètres de sa maison. Les caractéristiques de cette crise – le racisme, les élans antidémocratiques… – sont présentes depuis le début de l’histoire du pays, mais elle est exceptionnelle dans le sens où c’est la première fois que l’attaque provient de la personne occupant le plus haut poste du pays. »